Proposition de loi TRACE : Comment le Sénat a-t-il fait évoluer l’objectif ZAN ?
Un groupe de sénateurs a déposé fin 2024 une proposition de loi visant à faire évoluer la méthodologie du ZAN, appelée TRACE pour « Trajectoire de réduction de l’artificialisation des sols ». L’intention poursuivie par les auteurs du texte était de maintenir l’objectif ZAN en 2050, mais de revoir complètement la façon de l’atteindre, notamment en :
- Conservant la notion de consommation des ENAF pour comptabiliser l’artificialisation, y compris au-delà de 2031 (actuellement, les textes prévoient une bascule vers la définition de l’artificialisation en lien avec les fonctions de sols, conformément aux dispositions de la loi Climat et Résilience)
- Supprimant les tranches de 10 ans fixant des objectifs intermédiaires
- Supprimant les objectifs chiffrés fixés à l’échelle de la région et en les remplaçant par des trajectoires tendancielles élaborées directement par les communes et EPCI
Le texte a été débattu par les sénateurs en séance publique les 12 et 13 mars dernier.
Où en est-il avant envoi à l’Assemblée nationale pour qu’il soit soumis aux députés ?
1. Précisions sur la définition
Les sénateurs conservent l’idée de ne pas changer de définition en 2031 et de conserver la notion de « consommation d’ENAF », qui est définie comme la création ou l’extension effective d’espaces urbanisés. Ils précisent néanmoins cette notion en ajoutant une définition de « l’espace urbanisé » qui devra en l’état du texte s’apprécier « au regard de la quantité, de la densité et de la continuité de l’urbanisation, de la structuration par des voies de circulation ou des réseaux d’accès aux services publics de distribution d’eau potable, d’électricité, d’assainissement et de collecte de déchets et de la présence d’équipements ou de lieux collectifs publics et privés, ainsi que des types d’urbanisation et d’habitat locaux. »
Pour clarifier encore davantage la notion, les sénateurs ajoutent que la création ou l’extension effective d’espaces urbanisé n’est pas comptabilisée comme de la consommation d’ENAF si elle est réalisée au sein de l’enveloppe urbaine, ou si l’espace concerné est « majoritairement entouré d’espaces bâtis ou que son sol est imperméabilisé ».
Enfin, il est précisé qu’une commune peut comporter plusieurs enveloppes urbaines, et que la création ou l’extension effective d’espaces urbanisés s’apprécie à l’échelle de la parcelle cadastrale.
Cette modification de la définition de l’artificialisation aura, si elle est confirmée à l’Assemblée, un impact important sur la mise en œuvre du ZAN.
À une logique stricte de comptabilité selon le seul usage du sol observé par image satellite, on substitue la possibilité d’une analyse plus fine, parcelle par parcelle, selon la localisation de l’opération. Les opérations en périphérie des villes ne seront plus systématiquement exclues, selon les conditions d’insertion avec l’existant.
2. La bonification de l’enveloppe foncière
Afin d’inciter au réemploi des friches, et soutenir les collectivités confrontées à la présence de friches sur leur territoire, les sénateurs ont créé un mécanisme de bonification.
Ainsi, pour chaque hectare de friche requalifié, l’enveloppe des collectivités territoriales ou de leurs groupements est abondée de 0,5 hectare.
3. Maintien des tranches et objectifs intermédiaires avec un décalage du calendrier
Les sénateurs ont finalement choisi de ne pas renoncer aux tranches intermédiaires fixant un objectif de -50% de consommation par rapport à la tranche précédente.
Néanmoins, à la place de la décennie 2021/2031 pour les chiffres de référence, puis des décennies 2031/2041 et 2041/2050 pour les objectifs intermédiaires, les dates de références sont :
- 2014/2024 pour la décennie de référence
- 2024/2034 et 2034/2050 pour les objectifs intermédiaires.
4. Pour les PLU
a. La surface totale couverte par les zones U et AU d’un PLU peut dépasser de 20% les objectifs d’artificialisation fixés par les documents d’urbanisme
Les sénateurs ont aussi souhaité inscrire dans la loi la souplesse à laquelle appelait Christophe Béchu, alors ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, dans la circulaire du 31 janvier 2024 relative à la mise en œuvre de la réforme vers le ZAN. Cette circulaire indiquait à l’époque que « Sera estimé « compatible » un PLU ou un SCoT autorisant un dépassement des objectifs quantifiés de réduction de la consommation d’ENAF fixés par le document supérieur pouvant aller jusqu’à 20 %, sans justification spécifique »
Le texte prévoit donc désormais que « les surfaces ouvertes à l’urbanisation dans lesdits plans locaux d’urbanisme, documents en tenant lieu ou cartes communales peuvent, sans justification, dépasser jusqu’à 20 % l’objectif local de consommation maximale [d’ENAF] résultant de la déclinaison territoriale des objectifs de réduction de cette consommation fixés par les documents [d’urbanisme] ». Le dépassement pourrait même être supérieur à 20% avec l’accord du préfet.
Si le texte indique « sans justification », la raison de cette souplesse avait été présentée dans la circulaire de 2024 : l’ensemble des zones urbanisables d’un PLU n’est jamais entièrement exploité sur la durée d’un PLU. Ainsi, classer plus largement que le strict objectif n’entraînera pas, loin de là, un dépassement systématique de l’objectif, mais apportera de la souplesse dans la mise en œuvre des projets.
b. Clarification sur les outils d’ingénierie en soutien aux communes
En soutien aux collectivités ne disposant pas en interne de l’ingénierie attendue pour la poursuite des objectifs liés au ZAN, la proposition de loi prévoit la mise à disposition par l’Etat et au bénéfice des collectivités locales des outils d’ingénierie existants en matière de sobriété foncière et de préservation des sols, de façon regroupée et lisible.
c. Possibilité d’inclure un diagnostic sur la santé des sols
Une expérimentation est proposée pour, en amont de l’élaboration ou la révision des PLU, réaliser un diagnostic relatif à la qualité et à la santé des sols.
Cette proposition fait suite au maintien de la définition de l’artificialisation en lien avec la seule consommation d’ENAF, sans prise en compte des fonctions des sols. S’il s’agit d’un indicateur permettant d’apprécier les efforts de sobriété foncière d’un point de vue quantitatifs, il est cependant totalement indifférent aux sols, à leurs caractéristiques, et les services écosystémiques rendus.
Les sénateurs qui proposent cette expérimentation espèrent « ouvrir la voie (…) à ce que les choix urbanistiques appréhendent plus finement les enjeux des fonctionnalités des sols, afin d’intégrer progressivement ces paramètres dans les décisions d’aménagement et de développement local ».
d. Nouvelle évolution du calendrier de mise en conformité
La proposition de loi prévoit, en cohérence avec le décalage des tranches de 2021/2031 à 2024/2034, un nouveau report des délais de mise en conformité des documents d’urbanisme.
Pour les PLU, le délai de 6 ans et 6 mois pour la mise en conformité est porté à 8 ans (délai courant à compter de 2021).
À noter que pour les SCoT, le délai de 5 ans et 6 mois est porté à 7 ans pour la mise en conformité est porté à 7 ans. Pour les SRADDET qui sont, selon les délais fixés en 2021 ont d’ores et déjà expiré, les délais sont rouverts pour une durée de 6 ans, à compter d’Aout 2021. Ils peuvent donc évoluer jusqu’en 2027.
À noter que tout ces délais sont majorés d’un an pour la Corse, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, la Réunion et Mayotte.
5. Le sursis à statuer ZAN dans les certificats d’urbanisme
Dans un souci de clarification à l’égard des propriétaires ou potentiels acquéreurs de terrains, la proposition de loi prévoit que le sursis à statuer « ZAN » créé par la loi de juillet 2023 doit être mentionné dans les certificats d’urbanisme.
Pour rappel, ce sursis à statuer est opposable par les élus locaux lorsqu’ils craignent qu’un projet ne soit pas compatible avec les objectifs de réduction de consommation qui lui seront assignés par les documents d’urbanisme supérieurs.
6. Les projets « mutualisés » ou exemptés.
Concernant les projets d’envergure nationale et européenne (PENE), l’Etat est lui-aussi contraint à la sobriété avec l’obligation de définir un objectif chiffré de réduction de l’artificialisation liée à ces grands projets.
La proposition de loi prévoit aussi de comptabiliser au titre de ces PENE l’ensemble des aménagements et équipements rendus nécessaire par l’implantation du projet, y compris les logements.
Cette mesure vient donc libérer les collectivités qui accueille ces projets de la comptabilisation de ces aménagements.
En l’état actuel de la législation, les PENE sont décomptés dans le cadre d’un forfait mutualisé à l’échelle nationale de 12500 hectares.
A l’échelle régionale, des mutualisations sont aussi possibles avec une prise en compte des projets d’envergure régionale dans le plafond déterminé au niveau régional, sans être décliné entre les différentes collectivités qui accueillent lesdits projets.
La liste des projets pouvant être ainsi mutualisés est agrandit par la proposition de loi et compte désormais :
- Les aires d’accueil des gens du voyage
- Les plateformes de recyclage et valorisation des déchets
- Les bâtiments scolaires pour le 2nd degré et l’enseignement technique
Enfin, le texte prévoit aussi un certain nombre d’exemption. Ainsi, pendant 15 ans, ne serait pas comptabilisée toute artificialisation liée :
- Au raccordement électrique d’implantation industrielle
- Aux postes électriques d’une puissance supérieure à 63 kV
- Aux services publics d’eau et assainissement
- A la production d’hydrogène vert
7. Le décomptes des ZAC sur la tranche précédente
La doctrine administrative prévoit actuellement que le décompte des ZAC se fait au démarrage des travaux, soit tranche par tranche soit pour la totalité de l’opération. Aussi, bien que la décision des élus et la création de la ZAC soit anciennes, le décompte se fera lors de sa mise en œuvre réelle sur le terrain.
Les sénateurs souhaitent par la proposition de loi inscrire le décompte de l’artificialisation lié à la réalisation d’une ZAC dans la tranche de référence 2011/2021, pour les ZAC créées avant 2021.
Cette évolution permet ainsi d’assigner l’entière artificialisation liée à la ZAC à la tranche de référence, et non à la tranche devant réduire de moitié son artificialisation.
Cela viendra sécuriser certaines ZAC anciennes dont des tranches sont remises en cause aujourd’hui au titre de l’objectif de réduction par deux de l’artificialisation.