Nous le constatons chaque été : les canicules se multiplient et s’intensifient. Certaines villes deviennent quasiment invivables durant les journées les plus chaudes, et une forme d’injustice climatique apparaît dans les quartiers les plus bétonnés et les logements les moins bien isolés. La climatisation et la végétalisation deviennent des sujets de société, et les décideurs cherchent des solutions efficaces pour abaisser durablement les températures. Alors que les catalogues de bonnes pratiques n’apportent souvent que des réponses partielles, l’aménagement urbain s’impose comme une solution de long terme pour restructurer en profondeur des quartiers anciens ou imaginer de nouveaux espaces adaptés au défi climatique. C’est ce que vous découvrirez dans ce troisième numéro de Cartes sur Table, la newsletter de l’aménagement.
Nicolas Gravit – Président de l’UNAM
Les incendies qui viennent de se déclarer en lisière de Marseille, menaçant sérieusement plusieurs quartiers de la ville, nous rappellent combien les conséquences du changement climatique sont déjà visibles et fragilisent nos espaces urbains. Notre région, particulièrement exposée aux épisodes de sécheresse et de canicule, doit dès à présent s’adapter pour faire face à ces nouveaux risques. Dans ce contexte parfois anxiogène, j’ai pourtant la conviction que les opérations d’aménagement constituent une véritable opportunité pour imaginer et concevoir des espaces capables de rendre la ville plus résiliente et vivable à l’avenir.
Philippe Bertucci – Président de l’UNAM Paca – Corse
Le 30 juin 2025 a marqué un record absolu de chaleur pour un mois de juin. Et les tout premiers jours de juillet n’a pas laissé beaucoup de répit : la canicule persiste, étouffante, sur l’ensemble du pays – et sur toute l’Europe de l’Ouest qui elle aussi, vit un mois record. La terre se réchauffe, et nous le ressentons désormais au quotidien. À Marseille, le 16e arrondissement se confine pour se protéger des incendies qui a fait 97 blessés. Quelques mètres plus loin, la mer méditerranée n’a jamais été aussi chaude.
Quelles conséquences pour l’aménagement du territoire ? Pour fuir les grosses chaleurs, il faudrait prendre la direction de la Bretagne qui pourrait devenir la région la plus peuplée de France d’ici 30 ans d’après l’Agence européenne de l’environnement, la Normandie, ou encore les Yvelines et la Bourgogne, dont les forêts offriront des îlots… de fraîcheur. Bref, le marché immobilier sera chamboulé. (Le Figaro Immobilier)
Les professionnels prennent conscience de la nécessité d’adapter nos villes. Le collectif « Nos villes à 50°C » porté par A4MT veut adapter le bâti existant au plus vite. Sur-toiture végétalisée, sur-élévation des toits que quelques centimètres pour y glisser un isolant : les phases de diagnostics laissent place aux expérimentations, avant généralisation. (Le Moniteur)
Urbanistes, architectes et professionnels de la ville ont déjà identifié une série d’aménagements « qui marchent » pour faire baisser le mercure.
• Peindre les toits en blanc : pour réfléchir le rayonnement solaire et limiter l’absorption de chaleur.
• Installer des toitures végétalisées : pour isoler les bâtiments, retenir l’eau et rafraîchir l’air par évapotranspiration.
• Planter arbres et pelouses en pleine terre : solution la plus efficace pour rafraîchir l’atmosphère.
• Revégétaliser les sols urbains : transformer parkings, trottoirs et places en espaces verts.
• Créer de nouveaux espaces verts : comme les 100 hectares supplémentaires prévus à Paris.
• Développer le maraîchage en périphérie urbaine : rafraîchit davantage que les grandes cultures récoltées tôt en saison.
L’Ademe a lancé « Plus fraîche ma ville », une plateforme d’aide à la décision qui recense différentes solutions et retours d’expériences pour orienter les collectivités territoriales.
Comment souvent, il faut regarder dans le passé pour imaginer l’avenir. Et (signe des temps ?) nos regards se tournent vers l’Iran avec les tours attrape-vents qui allient verticalité et fraîcheur. La clim écolo, c’est eux.
À Yazd de hautes cheminées en terre cuite surplombent les maisons : ce sont les bâdgirs, ou attrape-vents. Utilisées depuis plus de 3.000 ans, ces tours de ventilation naturelles rafraîchissent les bâtiments sans électricité, en canalisant le vent et en évacuant l’air chaud. Longtemps oubliées au profit de la climatisation moderne, elles suscitent un nouvel intérêt : près de 7.000 structures similaires existeraient au Royaume-Uni. (Slate)
Vous avez chaud malgré la cilm’ ? Vous n’êtes pas seul, et ce n’est pas fini : un Français sur sept vit dans un territoire qui connaîtra plus de 20 journées anormalement chaudes par été dans les décennies à venir, nous apprend l’Insee . Cela va s’intensifier en particulier dans des régions comme l’Auvergne-Rhône-Alpes, l’Occitanie ou l’Île-de-France. La région capitale pourrait connaître jusqu’à 20 journées et 11 nuits exceptionnellement chaudes chaque été, contre 15 et 7 respectivement avant 2005. Ces anomalies climatiques posent un défi sanitaire et social majeur : elles frappent plus durement les personnes âgées, nombreuses dans les zones littorales, et les 1,2 million d’habitants pauvres vivant dans des logements souvent mal isolés. Les métiers du bâtiment et de l’agriculture, très représentés dans ces territoires exposés, sont eux aussi en première ligne.
À Rennes, l’écoquartier de La Courrouze a été conçu pour combattre les fortes chaleurs (bretonnes) . Ce nouveau quartier, installé sur les anciennes terres militaires de l’arsenal, mise sur une approche globale mêlant végétation, matériaux perméables et urbanisme compact. Avec 40 hectares de verdure, des chaussées drainantes sans bitume, des toitures équipées de panneaux solaires et une école semi-ouverte pensée pour maximiser la ventilation, La Courrouze cherche à limiter les effets d’îlots de chaleur urbains. Et ça marche : en juillet 2024, alors que la température frôlait les 33°C dans certains quartiers, le thermomètre affichait un peu moins de 30°C à La Courrouze, au même niveau que les quartiers proches du Thabor, le parc central de la prefecture bretonne. Le quartier, qui doit accueillir à terme 10 000 habitants et 8 000 emplois, incarne la stratégie de Rennes pour garantir un parc accessible à 90 % des habitants à moins de 5 minutes de chez eux d’ici 2030. (Ouest-France)
« À Brest, nous voyons déjà arriver des personnes habitant le Sud de la France et souhaitant investir en Bretagne pour fuir la chaleur »
Céline Royer, conseillère en immobilier
« Comme au XIXe siècle, quand nous avons combattu l’insalubrité par la transformation profonde de nos villes, nous devons aujourd’hui avoir le même courage pour faire face au changement climatique. Cela ne pourra passer que par des opérations d’aménagement d’envergure et des mesures d’exception à l’échelle nationale »
Georges-Eugène Haussmann, juillet 2025
Au sein même des villes, certains quartiers sont davantage exposés aux îlots de chaleur en raison notamment de différences de densité, de caractéristiques des bâtiments, de végétation et de niveaux d’activité . Le centre des agglomérations est ainsi nettement plus exposé : à Paris, Bordeaux, Lille et Nantes, les ménages les plus aisés et les plus modestes habitent plus souvent en centre-ville que les ménages au revenu médian. Dans ces villes, ce sont donc à la fois les ménages les plus aisés et les ménages les plus modestes qui sont les plus exposés au phénomène d’îlot de chaleur.
(Insee)
« La clim’, ça augmente la température des rues de 2°C ». Nous avons tous entendu cette phrase, mais est-elle vraie, ou est-elle fausse ? En pompant la chaleur intérieure pour la rejeter dehors, la climatisation agit comme un frigo qui rafraîchit les aliments à l’intérieur mais dégage de la chaleur aux meubles adjacents. La clim, elle, rafraîchit les pièces mais réchauffe les rues. Selon une étude de 2020, si tous les bâtiments parisiens étaient climatisés et utilisés intensément lors d’une canicule, la température de l’air pourrait grimper jusqu’à +2,4 °C. En temps normal, dans les zones denses déjà équipées, l’impact observé est plus modéré : autour de +0,5 °C. Bref, un confort personnel -25 % des Français en sont équipés – qui peut aggraver les îlots de chaleur urbains. (Le Dauphiné)
Au Zimbabwe, un immeuble copie les termites pour rester au frais . À Harare, le Eastgate Center garde la tête froide… sans climatisation. Inspiré des termitières, ce bâtiment consomme 35 % d’énergie en moins que les autres, grâce à une ventilation naturelle astucieuse. Comme les termites, qui maintiennent une température stable dans leurs monticules grâce à un réseau de petits trous, l’architecte Mike Pearce a conçu des cloisons ajourées permettant à l’air de circuler et d’évacuer la chaleur. Résultat : à l’intérieur, il ne fait jamais plus de 27°C, même par temps caniculaire. (L’ADN)
Elle fait chauffer les carnets de commande des installateurs et de ses fabricants, mais la climatisation est-elle adaptée à une ville comme Paris ? L’Apur s’est attaqué au sujet. Une étude de 36 pages digérées par l’intelligence artificielle :
Face à la répétition des canicules et à l’augmentation fulgurante des « nuits tropicales » (40 prévues par an d’ici 2100 à Paris contre 6 à la fin du XXe siècle), la climatisation séduit de plus en plus les habitants, les commerçants et les entreprises. Mais l’étude de l’Apur (Atelier parisien d’urbanisme) montre que cette réponse immédiate au réchauffement climatique pose des problèmes majeurs, à la fois énergétiques, sanitaires, paysagers et climatiques.
📈 Un marché en plein boom
• En France, 25% des logements étaient équipés de climatisation en 2020, mais ce taux monte à 47% dans les régions méditerranéennes.
• À Paris, l’équipement reste minoritaire mais en forte croissance, notamment dans les logements récents, les commerces, les bureaux et les derniers étages sous toiture.
• Les ventes de climatiseurs fixes ont doublé en dix ans, passant de 400 000 unités en 2010 à plus de 800 000 en 2020. Il faut ajouter à cela environ 460 000 climatiseurs mobiles, vendus sans installation.
• L’ADEME anticipe une multiplication par 4 du nombre de logements climatisés d’ici 2050, atteignant 95% du parc.
🧱 Des formes variées, une insertion souvent problématique
• Les systèmes vont du simple climatiseur mobile (peu efficace, souvent utilisé fenêtres ouvertes) aux installations décentralisées massives sur les toitures d’immeubles tertiaires.
• Les commerces de rez-de-chaussée sont les plus visibles : climatiseurs accrochés aux devantures, installations parfois dissimulées mais rejetant de l’air chaud directement sur les trottoirs à 47 °C.
• Les logements sous les toits, notamment dans les immeubles anciens, s’équipent massivement, souvent sans autorisation d’urbanisme ni aval des copropriétés.
🌡️ Une solution qui réchauffe la ville
La climatisation soulage l’intérieur… mais réchauffe l’extérieur :
• Chaque unité extérieure rejette des calories : dans une rue à 30 °C, l’air expulsé peut monter à 50 °C, dégradant fortement le confort des passants et empêchant la ventilation nocturne des logements voisins.
• En cas de vent faible ou mal orienté, ces rejets se confinent entre les façades et accentuent l’îlot de chaleur urbain. Le phénomène empire avec la densité bâtie.
• La climatisation contribue à un cercle vicieux climatique : plus il fait chaud, plus on climatise… et plus on climatise, plus on émet de chaleur, aggravant l’inconfort général.
🔊 Nuisances et incivilités
• Le bruit des climatiseurs est l’un des principaux motifs de plaintes adressées à la Police municipale en été.
• Les pics de plaintes coïncident avec les périodes les plus chaudes de l’année, malgré la baisse estivale de la population.
• La pollution visuelle et l’intégration anarchique des équipements (façades percées, grilles visibles, câbles apparents) dégradent le paysage urbain, surtout dans les quartiers anciens.
⚖️ Un cadre réglementaire encore timide
• Depuis novembre 2024, le nouveau PLU bioclimatique impose de favoriser les solutions passives, de privilégier le raccordement au réseau de froid urbain, et de réserver les systèmes individuels aux cas de dernière nécessité.
• Pourtant, dans les faits, de nombreuses installations échappent aux règles, faute de contrôle ou en raison de l’auto-installation (notamment sur les toits ou en façade arrière).
💡 Des alternatives plus durables existent
• Le réseau « Fraîcheur de Paris », alimenté en partie par l’aquathermie de la Seine, permet de refroidir des quartiers entiers sans rejet de chaleur dans l’espace public.
• La géothermie sur nappe (ex : Paris Nord-Est) offre une solution performante et invisible.
• Les stratégies passives (isolation, occultation, ventilation naturelle, végétalisation) restent les plus efficaces à long terme – mais elles nécessitent des investissements dès la conception ou la rénovation des bâtiments.
En conclusion : la climatisation répond à un besoin immédiat mais crée un problème structurel. Mal pensée, mal régulée, mal intégrée, elle risque d’aggraver l’inconfort urbain qu’elle prétend combattre. L’Apur en appelle à une régulation plus stricte, une meilleure intégration paysagère et surtout à un basculement culturel vers des villes conçues pour affronter la chaleur – sans clim.
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