Trop souvent peu considérées ou carrément mises au banc de l’ « urbanité », les entrées de ville apparaissent désormais comme un nouvel eldorado dans le monde de l’aménagement. Le modèle dit des « boîtes à chaussures » perd chaque année de sa vitalité et on ne compte plus les défaillances et fermetures d’enseignes. Or, avec près de 500 millions de m² de foncier déjà artificialisé et peu pollué, les 1500 zones commerciales périphériques représentent un gisement de projets unique. C’est d’autant plus vrai à l’heure où la sobriété foncière peut apparaître parfois comme une injonction contradictoire. Et si ces espaces hier délaissés devenaient de véritables leviers de développement urbains pour les collectivités et les acteurs de la ville que nous sommes ? Si il existe de nombreux freins opérationnels, nous ne pouvons plus ignorer ces entrées de villes en raison du potentiel qu’elle représentent que ce soit pour la question du logement ou pour celle de la renaturation. Au-delà des fantasmes et des incantations, nous avons voulu apporter dans ce nouveau numéro de Cartes sur Table un éclairage sur ce sujet dont tout le monde parle mais dont le mode d’emploi reste à inventer.

Nicolas Gravit – Président de l’UNAM

 

Le potentiel des entrées de ville est gigantesque. Elles sont une pièce du puzzle qui peut nous permettre de répondre à la crise environnementale, les entrées de ville étant des zones déjà artificialisées. Ce sont des zones monofonctionnelles destinées au commerce, avec peu ou pas d’habitants. L’acceptabilité de leur transformation en sera d’autant plus simple. Aujourd’hui les entrées de ville ne sont plus toujours situées en entrées de ville. En effet, si Les zones urbaines se sont étalées, le péri-urbain, lui, a fait le chemin inverse en remontant vers les villes. Ces espaces sont des zones interstitielles devenues obsolètes avec le temps. Leur transformation en quartiers mixtes qui répondent aux usages est l’un des enjeux des dix ou quinze prochaines années. Contrairement à ce qu’on entend parfois, les entrées de ville ne sont pas la « France moche », elles sont les pépites à venir de l’aménagement. Demain, leur transformation fera la fierté des élus qui auront eu une vision pour continuer à faire ville à partir de ce qui existe. Parce qu’une ville qui ne se développe pas est une ville qui meurt.

Corentin Pronost – Directeur du pôle Aménagement chez Nexity Villes et Projets

 

Les entrées de ville stars de l’urbanismeLes quelque 30 000 zones d’activités économiques – plus du quart des surfaces artificialisées du pays – sont désormais au cœur des stratégies de réindustrialisation et de ZAN. Dans la lignée d’Action Cœur de Ville 2, qui vise à freiner puis stopper l’étalement urbain pour atteindre le zéro artificialisation nette en 2050 (loi Climat et Résilience), leur transformation devient une priorité.

Selon un baromètre révélé cet été, 1,6 million de logements pourraient être créés dans des zones commerciales à l’entrée des villes.

Le gouvernement a engagé la reconversion des zones commerciales en difficulté, avec une enveloppe de 24 millions d’euros pour financer une vingtaine de projets pilotes. Un enjeu majeur alors que 9 à 15 % des 1 500 à 1 800 zones commerciales françaises sont en déclin, souvent énergivores et minérales. (ici) L’enveloppe concerne 74 premiers lauréats de l’AMI “Un nouvel horizon pour les zones commerciales” qui vise à mener des opérations de diversification des usages, de renaturation ou encore de construction de logements. (Banque des territoires.fr)

 

(-5000 ans) – Mais de quoi parle-t-on ? Longtemps, la notion d’« entrée de ville » a été limpide. De l’Antiquité à la fin de la Révolution industrielle, elle renvoyait à des portes bien réelles, enchâssées dans des remparts, parfois mises en scène par un pont, un arc de triomphe ou une brèche monumentale. Ces seuils urbains avaient des fonctions précises : contrôler les arrivées, prélever l’octroi et… impressionner les visiteurs. Points névralgiques du commerce, de la sécurité ou du pouvoir symbolique, ils furent aussi des terrains de création. De Michel-Ange à Rome à Claude-Nicolas Ledoux à Paris, les plus grands architectes ont façonné ces marqueurs d’identité urbaine. Cette clarté s’est effritée avec la disparition des remparts et l’arrivée des gares intramuros, au XIXᵉ siècle. (La place des entrées de ville dans l’urbain généralisé ; mémoire de Master 2, Aix Marseille Université)

 

Les (74) projets (mais pas que) – Parmi les lauréats de l’AMI “Un nouvel horizon pour les zones commerciales” on trouve 31 communes de moins de 20 000 habitants et 31 communes de 20 000 à 60 000 habitants. L’AMI s’appuie par ailleurs sur les dynamiques déjà engagées : 22 communes labellisées Action Cœur de Ville, 6 issues du programme Petites Villes de Demain et 26 appartenant au réseau Territoires d’Industrie figurent dans la sélection.

 

  • Bordeaux Métropole a lancé une consultation internationale pour réinventer six de ses entrées de ville commerciales, rebaptisées « portes métropolitaines ». Cette première étape doit ouvrir la voie à un nouveau modèle d’aménagement qui s’étendra ensuite aux secteurs de gare, aux corridors de transport, aux centres-bourgs, aux espaces naturels et à la surélévation. (Le Moniteur.fr)
  • À Montigny-lès-Cormeilles (Val-d’Oise), la requalification de la RD14 va donner naissance à un nouveau quartier d’environ 900 logements bâtis sur une vingtaine d’hectares, avec commerces de proximité, équipements publics et espaces verts. (France Inter)
  • Au nord de Strasbourg, la zone commerciale de Vendenheim fait l’objet d’une vaste transformation, pilotée par l’Eurométropole et le groupe Frey. D’ici 2030, le site sera entièrement réaménagé en un centre commercial de plein air végétalisé, complété par un agro-parc et de nouveaux logements. Cette vidéo donne déjà à voir ce nouveau morceau de ville.

 

Mais attention, le groupe Frey a annoncé abandonner ses sept projets de transformation d’entrées de ville, estimant ne pas avoir trouvé de modèle économique viable pour les mener à terme. Une décision qui illustre la difficulté, pour les acteurs privés, de financer des opérations de requalification commerciale complexes et coûteuses. (Le Monde)

 

Un baromètre présenté le 4 juin 2025 par Icade et la Scet estime que les entrées de ville commerciales pourraient accueillir 1,6 million de logements, dont 120 000 rapidement, ainsi que 15 000 hectares de foncier économique et 10 000 hectares d’espaces renaturés. Oui, mais où ?

 

 

Tous les enseignements du livre blanc dans notre « MBA Express » à la fin de cette newsletter.

 

C’est là que ça coince – Transformation de longue haleine, équilibre économique… Les professionnels identifient une série de freins majeurs à la requalification des entrées de ville commerciales, comme le montre le diagramme ci-dessous.

 

« Quand on regarde la réalité aujourd’hui, elle est différente des discours : l’étalement urbain a bien eu lieu et la croissance de la motorisation individuelle aussi pendant qu’on fait circuler des TER vides et que la crise du logement n’est pas résolue. On constate donc un retard permanent de l’action publique à prendre conscience des évolutions du monde. Les doctrines qui avaient un sens à un moment donné deviennent anachroniques. »

Jean-Marc Offner, Directeur de l’A’urba, l’Agence d’urbanisme Bordeaux Aquitaine

 

« Pour éviter une suroffre à l’échelle métropolitaine, il est de notre devoir de réguler le développement des entrées de ville commerciales tout en proposant un nouveau modèle d’aménagement commercial pour celles qui sont en perte de vitesse. »

Martine Vassal, Présidente de la Métropole Aix-Marseille-Provence

 

« Tu t’réveilleras sur les bords de la ville, là où les centres commerciaux sont énormes. Où on passait les samedis en famille, où j’aimais tellement m’balader, même quand on avait que dalle à acheter. (…) Près du pont où ma grand-mère m’emmenait lancer des avions en papier, où tu peux voir les grandes tours des quartiers, où l’architecte a cru faire un truc bien »

Aurélien Cotentin, alias Orelsan. Dans ma ville, on traîne (La fête est finie)

 

 

En Suisse, c’est “LE” projetSihlcity figure parmi les premiers grands projets européens de reconversion d’une entrée de ville commerciale : il a transformé l’ancienne friche industrielle de la Papiermühle, à Zurich , en un quartier-mixte ultramoderne mêlant commerces, logements, bureaux et loisirs. Inauguré en 2007 et désormais pleinement éprouvé, ce complexe de près de 100 000 m² est considéré comme un cas d’école : fréquentation soutenue, intégration urbaine réussie et performance environnementale remarquée, avec des objectifs stricts de mobilité douce et un usage très limité de la voiture. Deux décennies plus tard, Sihlcity demeure un exemple pionnier et abouti de requalification d’entrée de ville. (SwissInfo)

 

Michel-Ange et Claude-Nicolas Ledoux « stars » des entrées de ville, on vous en parlait un peu plus haut. Mais ça c’était avant. Lancée à Saint-Dizier en 2021, l’initiative « La Beauté sauvera le monde » s’étend désormais bien au-delà de la Haute-Marne. Pendant trois semaines, 88 communes – des villages de 400 habitants jusqu’à Paris – remplacent leurs affiches publicitaires par des chefs-d’œuvre de Monet, Van Gogh, Cézanne et d’autres grands peintres. L’opération se diffuse désormais dans onze régions et investit aussi les bus et les palissades de chantiers, avec une ambition simple : transformer le banal en beau et rendre la culture accessible à tous. (Ouest-France)

 

« Entrées de ville, quartier de vie ». Nous avons demandé à ChatGPT de nous résumer le livre blanc réalisé par ICADE avec la SCET dévoilé il y a quelques mois.

Le livre blanc d’Icade et de la SCET dresse une photographie inédite des entrées de ville commerciales en France – leur poids réel dans nos paysages, leur potentiel de transformation, mais aussi les attentes des habitants et des élus.

 

1. Un gisement foncier massif et largement sous-estimé

Le rapport recense plus de 3 800 sites commerciaux, répartis sur près de 80 000 hectares. Fait marquant : 83 % de cette surface se situe sur des sites de plus de 15 hectares, souvent devenus de véritables polarités économiques – mais aussi les plus complexes à transformer.

À l’autre bout du spectre, plus de 1 000 petits sites (1 à 3 ha) forment un vivier immédiat de projets rapides, car détenus par peu de propriétaires et proches des quartiers habités.

 

2. Un potentiel de transformation majeur pour la France

L’étude chiffre précisément ce que la requalification pourrait produire :
• 1,6 million de logements (dont 123 000 mobilisables à court terme sur les petits sites).
• 15 000 hectares de foncier économique, essentiels pour la réindustrialisation et les activités productives.
• 10 000 hectares de surfaces renaturées ou désimperméabilisées, soit l’équivalent de la moitié de l’artificialisation annuelle du pays.

Autrement dit : les entrées de ville ne sont plus seulement des zones commerciales – ce sont des réserves stratégiques pour répondre simultanément aux crises du logement, du foncier et du climat.

 

 

3. Une transformation légitimée par les Français… et les territoires

Le livre blanc montre une convergence rare :

   • 64 % des Français souhaitent que la question des entrées de ville soit prioritaire pour les futurs exécutifs municipaux.
   • 89 % des décideurs territoriaux jugent leur transformation indispensable.

Les attentes convergent vers :

• plus de nature (60 %),
• une meilleure qualité architecturale (56 %),
• des mobilités douces et des transports plus solides (50 %).

Et, signe des temps, les Français sont prêts à habiter ces nouveaux quartiers… à condition d’y trouver commerces de proximité, espaces verts et bonne desserte.

 

4. Mais des freins structurels persistent

Le rapport met en évidence trois obstacles majeurs :

1. La capacité à porter un projet sur 10 ou 15 ans
2. La difficulté à atteindre l’équilibre économique, notamment sur les grands sites
3. Le risque de concurrence avec les centres-villes

Et une réalité : sans alliance solide entre public et privé, rien n’est possible. D’ailleurs, 68 % des acteurs interrogés identifient cette alliance comme le principal facteur de succès.

 

5. Quatre priorités pour accélérer (vraiment) la transformation

Icade et la SCET proposent une feuille de route claire :

Commencer par les petits sites : rapides à transformer et démonstrateurs.
Installer une gouvernance pérenne sur les grandes zones.
Saisir les opportunités foncières pour créer de l’activité économique.
Construire l’alliance public-privé, indispensable pour passer du diagnostic au projet.

 

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