Plusieurs facteurs qui se cumulent poussent à la forte périurbanisation
Samuel Depraz, géographe et enseignant-chercheur à l’université de Lyon (Jean Moulin-Lyon III), présente les mécanismes qui ont conduit au blocage foncier actuel. L’aménagement apparaît comme le grand absent des outils de développement des espaces périurbains des dix dernières années. Un modèle d’aménagement dense, multi-produits et multi-fonctions afin d’accueillir de nouveaux services pour les habitants apparaît comme une solution aux crises urbaines et périurbaines. Selon François Rieussec, Président de l’Unam, il faut mettre en valeur ce modèle et les solutions qu’il apporte aux collectivités et aux habitants.
« Plusieurs facteurs ont contribué à la forte périurbanisation depuis les années 1970. Les phénomènes périurbains s’expliquent par la motorisation des ménages accentuée avec la construction d’infrastructures, par le prix du foncier en hyper-centre devenu cher. Il y a aussi le désir de surfaces d’habitation plus grandes en dehors des villes, le marché de la construction-promotion fortement encouragé par les prêts à taux zéro… Puis, à partir de 1977, on veut estomper les principes de la cité HLM de banlieue en favorisant la maison individuelle en zone périurbaine », indique Samuel Depraz.

Samuel Depraz, Géographe
Spécialiste des espaces ruraux et des enjeux sociaux de la protection de la nature, Samuel Depraz travaille sur les sujets de développement territorial et d’aménagement durable des territoires. « Les SCOT, avec la loi SRU, ont apporté un premier iveau de contrôle de la consommation du foncier, notamment en milieu rural. Sont apparus les PLH et PDU dans les zones urbaines, pour une gestion économe du foncier. Les zones agricoles protégées, instaurées par les Départements depuis 2005 et la mise en œuvre de la trame verte et bleue, contraignent un peu plus l’extension des surfaces à construire », dit l’auteur des livres « La France des Marges, géographie des espaces autres » (Armand Colin, 2017) et « Acceptation sociale et développement des territoires » (ENS Editions, 2015).
Or « la solvabilité des ménages est toujours un problème. Le prix du foncier continue d’augmenter. On assiste à un problème mécanique. Sur les 15 dernières années, l’indice des prix a augmenté de 22 %, celui des terrains à bâtir a bondi de 400 %. Ce qui incite les ménages à aller toujours plus loin et à consommer toujours plus de périurbain ».
Comment évoluent l’urbanisation et la périurbanisation ?
Depuis les années 1970, le logement s’étend en périphérie des agglomérations et dans les couronnes rurales avec un pic maximal dans les années 1990-2000 où l’on note un phénomène de dynamisation important du périurbain. La France était dans une grande période de construction. Plusieurs facteurs ont contribué à la forte périurbanisation tels :
- la motorisation des ménages s’est accentuée à partir des années 1970 avec la construction d’infrastructures qui apportaient un contexte favorable à la mise en circulation de plus de voitures ;
- le prix du foncier en hyper-centre étant devenu cher, les ménages doivent s’éloigner des centres-villes. Ils désirent aussi des surfaces d’habitation plus grandes, ce qu’ils trouvent en dehors des villes ;
- l’idéal de vie à la campagne, du village, de la maison individuelle avec jardin refait son apparition ;
- le marché de la construction-promotion est fortement encouragé par les prêts à taux zéro pour apporter notamment une alternative au modèle de la banlieue. À partir de 1977, on cherche à estomper les principes de la « cité » HLM de banlieue en favorisant la maison individuelle en zone périurbaine, avec des accédants à la propriété, gage de stabilité sociale.
Tous ces facteurs se sont cumulés.
Qu’en est-il de la régulation du foncier dans ce contexte ?
Il y a eu peu de régulation du foncier du fait notamment de la décentralisation voulue à partir de 1981-1982. Les compétences d’urbanisme et la gestion du foncier ont été transférées aux maires avec, dans le même temps, une faible capacité à réguler la construction due, parfois, à des pressions fortes exercées sur les édiles pour donner du droit à construire. L’étalement périurbain a pu se poursuivre jusqu’en 2008. Pourtant, ces habitants continuent d’aller travailler en ville. Ils sont physiquement ruraux, pour leur vie de famille, et fonctionnellement urbains, pour leurs activités professionnelles.
Quels effets a eu la crise financière de 2008 ?
Malgré le net coup d’arrêt donné à la construction de logements neufs, on pouvait penser que cette crise serait conjoncturelle. Or elle dure. Depuis 2008, on est passé de près de 300 000 mises en chantier de logements par an à 200 000 aujourd’hui. La solvabilité des ménages est toujours un problème. En parallèle, le prix du foncier continue d’augmenter. On assiste à un problème mécanique. Sur les 15 dernières années, l’indice des prix a augmenté de 22 % quand celui des terrains à bâtir a bondi de 400 %. Et le phénomène continue. Ce qui incite les ménages à aller toujours plus loin et à consommer toujours plus de périurbain.
Pourquoi faire référence à la « ville à 3 vitesses » ?
Le concept de l’historien et sociologue Jacques Donzelot (auteur du livre “Quand la ville se défait”) se développe autour de la relégation, de la périurbanisation et de la gentrification. La ville à 3 vitesses se compose de quartiers de relégation sociale : la banlieue intégrée à l’unité urbaine, puis d’une classe moyenne à moyenne modeste, qui va toujours plus loin dans la couronne périurbaine pour se loger dans les sites les moins chers et, enfin, la gentrification, c’est-à-dire des classes les plus aisées qui reviennent investir en hyper-centre par la rénovation d’anciens quartiers populaires. Ils participent à la flambée des prix de l’immobilier des grandes agglomérations.
Quelles sont les conséquences sociales de la périurbanisation ?
Le mouvement de contestation des gilets jaunes découle en partie de ces politiques. De nombreux coûts cumulés créent des souffrances et des dépenses contraintes. Il y a le coût d’entretien sous-estimé du logement, la nécessité d’avoir 2 voitures car les logements sont trop éloignés des lieux professionnels, voire un divorce ou une situation de chômage… La crise a révélé qu’il est temps de basculer vers un autre modèle et de trouver d’autres solutions.
Le phénomène concerne-t-il tous les territoires ?
Des régions s’en tirent moins mal que d’autres. Rhône-Alpes, composée d’une métropole forte, Lyon, de plusieurs villes secondaires très dynamiques et d’un effet frontière, s’en tire bien. D’autres zones géographiques sont plus touchées, comme les périphéries toulousaines qui restent des territoires très dépendants des migrations vers Toulouse. Le Grand Est où la déprise rurale est très prononcée, avec peu de villes secondaires actives et des fermetures de sites militaires. La 3e couronne de Paris connaît aussi des difficultés.
Quels sont le rôle, le pouvoir et la volonté du législateur ?
Les SCOT, instaurés par la loi SRU en 2000, ont apporté un premier niveau de contrôle de la consommation du foncier, notamment en milieu rural. Sont aussi apparus les PLH et les PDU dans les zones urbaines, attentifs à une gestion économe du foncier. Les ZAP (zones agricoles protégées), instaurées par les Départements depuis 2005 et la mise en œuvre de la trame verte et bleue, un outil de 2010, contraignent un peu plus l’extension des surfaces à construire. Le législateur a tendance à privilégier la qualité de vie et à stopper l’artificialisation des terres. La densification par le haut, les logements collectifs plutôt qu’individuels sont les nouvelles façons de construire la ville. Mais ces politiques ont un coût, nécessitant le plafonnement des loyers. C’est une stratégie inégalement appliquée en France, notamment suspendue à Paris pendant un temps et de retour depuis fin 2019. Les immeubles de hauteur intermédiaire, moins contraignants que les IGH, font leur apparition tandis que les habitants veulent aussi des villes vertes.
Quelles actions sont possibles pour favoriser le dynamisme des villes moyennes ?
Certaines métropoles aspirent les emplois et l’activité économique. Or elles ont besoin de relais vers l’extérieur pour une couverture plus harmonieuse du territoire. La revitalisation des centres-bourgs et des villes moyennes en est le levier principal. Cette politique passe par l’implantation d’entreprises et le développement des transports en commun où le réseau ferré régional a toute sa pertinence. Il est un outil fort d’aménagement des territoires qui doivent l’envisager comme un véritable investissement. De plus, des mesures nationales existent. Lancé en 2017, le programme Action Cœur de ville a sélectionné 222 collectivités en 2019 pour accompagner des villes moyennes à potentiel économique, patrimonial, culturel et social, à être plus attractives, à rénover des logements et à doper leur vitalité commerciale. La régulation par le prêt à taux zéro, en différenciant les attributions selon les zones denses ou tendues, contribue à engager des rénovations de logements en zone rurale. Les leviers existent pour reconquérir les centres-bourgs, imaginer autre chose que des villes dortoirs et faire de ces villes moyennes, le maillon dynamique manquant entre la campagne et la ville. Ce que nous avons bien souvent perdu.