Crise sanitaire : vers la fin d’un modèle unique de l’habitat

 

Tribune de Pascal Barbottin, Midi Habitat

« Et Londres se dépeupla » : un titre accrocheur et récent du magazine Le Point ? Pas tant que cela si on en croit les lignes de fractures révélées lors de la crise sanitaire. Jusqu’à maintenant en matière d’urbanisme et spécifiquement d’habitat, pas facile de résister à l’idée du « big is beautiful », le principe de concentration à l’œuvre dans de très nombreuses organisations ou façons de voir la politique de la ville.

Mais, 1e signe, la crise dite des « gilets jaunes » a « révélé » que près des 2/3 des Français habitaient en zones périphériques, moyennes et rurales. Ces dernières, hors du champ métropolitain ont été parfois qualifiées de « zones en voie de déqualification » alors que le dynamisme de ses habitants a toujours été un point fort : proximité, entraide, ou tout simplement connaissance de l’autre. La situation des maires en était devenue intenable, interlocuteur du quotidien mais perdant peu à peu de leurs délégations propres au profit de coopérations intercommunales ou départementales ou autres, inconnues du grand public, diffuses et parfois même loin de la démocratie locale puisque peu ou pas désigné au suffrage de proximité, en tous cas pas comprises par le citoyen.

Dans le même temps, la fuite des services et des responsabilités, l’installation de règles uniformes venant d’en haut (les maintenant fameux 80 km/h), le sentiment d’abandon et de déclassement (aussi fort peut être que dans les grands quartiers de la politique de la ville), ont révélé le fossé creusé entre l’administration et certains décisionnaires en central d’un côté, et la diversité des publics et des situations en local de l’autre. Diversité aussi des fragilités inhérentes aux critères multiples présents dans ces secteurs géographiques : crise sociale, crise du lien, crise des jeunes (qui s’en vont), crise des personnes âgées (qui ne peuvent partir vers meilleure situation). L’expression même de « territoires », apparue ou réapparue il y a quelques années dans la voix de l’administration, révèle encore davantage la notion de « réserve d’indiens », que le terme de « province » (littéralement « région vaincue ») a installé dans notre langue.

 

La vie nécessite un investissement de proximité

La crise sanitaire en soulignera encore davantage les excès, constat appuyé sur les plus récentes études sur les souhaits et les appréciations des citoyens, habitants. Ils comprennent (les Français sont des gens de bon sens et d’intelligence) que la préservation des espaces doit être au cœur des débats mais que la vie nécessite un investissement de proximité et de rester sur le premier concept de simplicité. Ils refusent pourtant de considérer que la vie dans les grandes métropoles répond ipso facto et sans discussion à ces aspirations et sont donc très peu (s’ils n’y sont pas obligés), à vouloir y habiter ou y investir. Nous mettrons à part la situation du grand Paris bien que l’attractivité de la ville centre semble mise en cause au profit des banlieues en renouvellement ou d’un éloignement progressif. Pourquoi ? La densité et l’habitat dans les métropoles, souvent accompagnés d’espaces communs ou de circulation restreints et de minéralisation, personne n’en veut spontanément du point de vue de l’humain, à l’inverse des perspectives dessinées par beaucoup de sachants en matière d’écologie urbaine, d’urbanisme, de politiques depuis plusieurs dizaines d’années.

La taille des villes agréablement viables a depuis longtemps fait l’objet de théories quant à la taille maximale au-delà de laquelle elle se dérobe au contrôle raisonnable de ses édiles et de ses habitants. Le coût de la densification est extrême (et peu visible) dès lors que des effets de seuil sont dépassés. La course aux financements, aux équipements devient sans fin. La hauteur fait peur (notion subjective) et le véritable coût du vertical est rarement abordé.

 

Autour de la grande ville sans jamais y pénétrer

Enfin, le coût social est extrême. La fragmentation de notre société s’y retrouve dans les tensions sociales (communautarismes recréant une échelle de proximité), la concentration de publics fragiles qui ont besoin de proximité pour simplement assurer des besoins de base et, de l’autre côté, les quartiers embourgeoisés et plus riches. À côté des milliers de banlieusards, d’habitants de 1e, 2e et 3e couronnes, mais aussi souvent de villes moyennes, transitent autour de la grande ville sans jamais y pénétrer.

L’analyse rejoint aussi la mise en avant permanente de la prééminence de la construction neuve dans les discours politiques, administratifs et professionnels alors même que la question essentielle du tissu urbain réside dans la problématique de la préservation et dans le renouvellement de l’ancien, symbolisé par la vie des copropriétés. La réhabilitation et renouvellement urbain sont vertueux en termes de développement durable et respectueux des habitants.

Rappelons que la 1e ambition des habitants, accentuée par la crise actuelle, est leur tranquillité/sécurité et que cette dernière est aussi le gage du bien vivre ensemble en réduisant les tensions. Pendant ce temps-là les villes moyennes retrouvent leur image et peuvent mettre en avant le lien entre ses habitants et la simplicité entre les acteurs de la ville, bien que les problématiques urbaines y deviennent de plus en plus fortes. Même chez les jeunes, plus la ville est grande, plus elle est difficile à vivre : coût de la vie trop lourd, « cellules » – logement étroites, insécurité et pollution de plusieurs ordres dont les nuisances sonores font partie.

 

Notion d’intergénérationnel de nouveau portée

À un autre bout du parcours résidentiel, l’histoire récente avait aussi abandonné l’intergénérationnel dans son caractère familial protecteur (notamment dans les villes petites ou moyennes) lorsqu’une habitation suffisante était dédiée à l’hébergement de la famille autant que du jeune et/ou d’un parent âgé, ou dans la possibilité de faire vivre au sein de résidences toutes les générations sans heurts ni friction mais avec tolérance. Heureusement, cette notion d’intergénérationnel a de nouveau été portée par certains (dont les bailleurs sociaux engagés dans les innovations sociales et l’amélioration des conditions de vie et d’insertion de leurs locataires âgés) depuis la fin des années 90 et plus encore avec de nouvelles dispositions législatives, sans appréhension, mais en mettant en avant une forme de militantisme face à des règles d’urbanisme, d’attribution ou d’accompagnement social longtemps restrictives.

 

Et le logement social dans tout cela…

Ayant contribué à construire la ville, il avait récemment reconstruit son image, contribué au début des années 2000 à sauver une promotion immobilière « collée » par la crise financière de 2007/2008, développé l’approche vertueuse en matière de consommations, créer du lien social avec les innovations multiples sur le plan social, investi dans la politique de la ville (les grands quartiers en difficulté) mais… aujourd’hui de nombreux acteurs ne veulent plus de logement social ! A un bout de la chaîne, les élus de terrains confrontés sur des périodes de plus en plus longues autour des échéances électorales au NIMBY, de l’autre des locataires anciens, fidèles et qui assuraient la (vraie) mixité des ensembles et résidences de logements sociaux qui sont conduits à partir, à quitter leur logement social sans comprendre ce qui leur arrive (environnement de leur quartier, sous occupation suite aux départs ou séparations familiales, arrivée massive de publics de plus en plus désocialisés mais mal accompagnés).

Le resserrement des financements, notamment sur la qualité urbaine et les espaces, le poids exponentiel des normes, l’encadrement du secteur, les avis bien arrêtés de beaucoup sur le métier de bailleur, le changement de modèle imposé au niveau européen (c’est heureusement en train de se retourner, enfin, devant la nécessité de produire et offrir partout du logement non seulement pour les plus démunis mais surtout pour les travailleurs à faibles moyens)… conduisent malheureusement à un nouveau rejet.

 

Le règne du management de contraintes

Trop complexe, trop de publics imposés aux opérateurs, aux maires, aux voisins, trop loin des préoccupations quotidiennes, trop lent (mener à bien un projet social nécessite plusieurs années, de 3 à 5), trop, trop… (plus personne ne sait aujourd’hui comment se passe une attribution de logement social, non pas cause des bailleurs qui y ont toujours prêté une attention toute professionnelle et empreinte de leur mission sociale mais à cause de l’empilement des textes, des intervenants toujours plus nombreux et des priorités). La complexité génère le règne du management de contraintes plus que d’opportunité et de facilité d’action, déshumanisé et bureaucratique, et, finalement se traduit par le manque d’efficacité.  La pandémie nous montre le monde orwellien dont nous ne voulons pas : attestations, règles et autorisations à l’excès et son lot d’incohérences dans les organisations d’indicateurs, visas, contrôles, comitologie (ou d’autres termes de circonstances, excluant la décision et l’action) à l’excès et donc inadéquats. Il révèle aussi les solidarités.

Pendant ce temps, la surenchère foncière se poursuit dans les très grandes villes, les zones à forte attractivité. Le seul gagnant des dernières années, c’est le rentier, le vendeur du terrain, pendant que se bagarrent les acheteurs au prix des excès de la défiscalisation, de la densité urbaine, compensant ces effets de course au prix du terrain et les obligations SRU (alors même que du coup les bailleurs ne peuvent plus acheter en direct) et même déjà les dérives du BRS.

 

La diversité fait la ville

En matière d’immobilier il n’y a pas d’outil universel sans tenir compte de l’environnement, de la qualité ou de la localisation. C’est la diversité qui fait la ville. C’est aussi la diversité des acteurs. Les grands groupes de promotion font une course au volume et à la rationalisation de la construction. On les comprend d’une certaine façon, confrontés aux aussi aux mêmes standards d’avoir à prouver en permanence à des auditeurs financiers de leur performance (boursière, de notation, de part de marché…). Il est plus étonnant encore d’obliger les bailleurs à se constituer en ce même type de groupe, au risque d’accroître la techno structure, d’éloigner du terrain et de perdre en qualité d’offre et de proximité avec les habitants.

L’uniformité ne va pas avec un type d’habitat « aimable » gage de stabilité urbaine et de vie harmonieuse. Dans notre pays et aussi dans l’inconscient collectif encore aujourd’hui, la maison et son espace de vie est un volume familial entouré de volume de services, grenier, cave, celliers, séchoir… Après-guerre, la technostructure a sonné la fin de ce concept d’habitat et via les normes d’urbanismes, de taxation, de financement. On a progressivement fait disparaître dans les logements dits modernes, loggia, balcons et dépendances.

 

Des « rationalisations »

En réaction, le rêve français est resté de la maison individuelle, symbole de liberté et de fonctionnalisme. La pandémie mondiale est le moment de reconsidérer la vision contemporaine sur les lieux de vie. La qualité de ces lieux de vie mérite un rattrapage d’années de ces « rationalisations » qui ont amputé le critère de confort pour les habitants. Zones vertes, incluses dans la ville, habitat intermédiaire, espaces de service ou espaces communs, logements adaptés aux personnes en situation de handicap ou très âgées (et non pas standardisation dans des établissements uniformes et déshumanisés), bien intégrés dans la ville. Encore une fois préférer l’humain au béton ! Réussir est aussi et d’abord un enjeu d’accompagnement dans le logement, quelque soient les lieux, les publics concernés.

Les coûts en sont importants mais il s’agit de choix de société. Le financement du confort d’usage doit être la réponse aux défis posés par la pandémie et il ne faudrait pas oublier tous ces constats lorsque celle-ci aura une fin. À l’inverse de la doxa martelée depuis de nombreuses années, les coopérations, les alliances, une mutualisation intelligente et intelligible d’acteurs de toutes tailles et tous statuts (bailleurs, promoteurs, associations, fondations… petits ou grands), sans déroger à la préservation des valeurs dans l’action, répondent mieux et collectivement, engagent et ne transigent jamais avec la proximité.

 

L’obligation de partenariats à 360°

Le rôle des acteurs de l’habitat, à l’heure où de plus en plus s’interrogent sur la « raison d’être » de leurs activités et de leurs organisations, est de poser la question de la diversité des réponses à adopter dans l’avenir, de l’obligation de partenariats à 360°, d’innover en faisant le lien entre le passé et l’avenir et d’axer les moyens et marges de manœuvre ainsi dégagés sur l’humain, tout autant que sur la ville en tant qu’objets immobiliers et d’aménagements urbains. La crise emporte l’opportunité de changer de paradigme sur l’habitat de demain.

Nées depuis plusieurs années et accentuées par la crise sanitaire, les aspirations à changer la ville et les modes de vie s’incarnent dans l’approche plus humaine de l’habitat et de son voisinage proche ou facilement accessible, davantage de proximité, de liens, d’un environnement apaisé et sûr. Les acteurs au plus proche du terrain doivent se réapproprier la question de l’habitat sans calquer la reproduction permanente des mêmes modèles. Encore faut-il rassembler sur cette exigence de diversité d’approches, de respect de tous et de changement dans le « monde d’après » …

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