Le logement social doit-il vendre pour construire ? (M. Boulmier, association HLM Nouvelle Aquitaine)

Muriel Boulmier, présidente de l’Union régionale HLM en Nouvelle Aquitaine et présidente de l’association régionale des organismes sociaux pour l’habitat en Aquitaine (Arosha) s’est exprimée en juin 2019 dans une tribune adressée à News Tank Cities.

Depuis quelques années, le glissement des financements du logement social de l’État vers d’autres acteurs a été amorcé. La vente HLM a depuis les années 2000 été considérée comme une solution. Tout d’abord, en ce qu’elle répond à l’aspiration des Français à devenir propriétaire, notamment pour transmettre un patrimoine à leurs enfants. Mais aussi avec une visée budgétaire, plus discrète, pour reconstituer les fonds propres des organismes par les plus-values réalisées pour financer les nouvelles constructions. Par ailleurs, le contexte de taux des prêts, historiquement bas, aurait dû soutenir l’accession populaire dans le logement social.

 

Ainsi l’Assemblée nationale a évoqué au début 2019, dans la loi ÉLAN, l’objectif de vente à 40 000 par an, quand aujourd’hui elles restent au nombre de 8 000. Alors le logement social doit-il construire pour vendre, ou vendre pour construire ?

 

C’est dans la quiétude du mois d’août 2018 que le coup de vent de la baisse de 5 € pour tous les locataires HLM a précédé, comme un ballon sonde, la tempête de la fin d’année. Certains jugent alors que « 5 €, c’est moins que le prix d’un paquet de cigarettes », c’était méconnaître la réalité des situations des habitants. L’Assemblée Nationale, quant à elle, composée d’élus dont peu sont familiers de la gestion locale d’une collectivité, comme de l’exigence des politiques locales de l’habitat, n’a pas mesuré à sa juste valeur l’écho de cette décision. Le cœur de l’administration des finances cherche de quoi nourrir un budget famélique et trouve dans les organismes HLM une solution facile.

C’est ainsi que la loi de finances 2018, votée à l’approche de Noël, baisse massivement les APL des locataires. Cependant pour endiguer le mécontentement prévisible de cette perte de ressources des locataires, les députés ont chargé les organismes HLM de la compenser en baissant les loyers, le tout pour 1,5 Md€ par an (la RLS). Nonobstant les alertes argumentées des élus locaux, de toute tendance politique, de l’USH, des experts économiques, la mesure fut votée avec la conviction de confondre par-là l’archétype de l’ancien modèle de solidarité, soupçonné de conserver par devers lui un trésor caché. Faute d’en trouver un, il a fallu déployer un arsenal financier de mesures compensatoires de la décision aux effets controversés. La vente massive des logements HLM est une de celles-ci.

Le glissement des financements du logement social de l’État vers d’autres acteurs a été amorcé

Depuis quelques années déjà, le glissement des financements du logement social de l’État vers d’autres acteurs a été amorcé. La vente HLM a depuis les années 2000 été considérée comme une solution. Tout d’abord en ce qu’elle répond à l’aspiration des Français à devenir propriétaire, notamment pour transmettre un patrimoine à leurs enfants. Mais aussi avec une visée budgétaire, plus discrète, pour reconstituer les fonds propres des organismes par les plus-values réalisées pour financer les nouvelles constructions. Par ailleurs, le contexte de taux des prêts, historiquement bas, aurait dû soutenir l’accession populaire dans le logement social.

Par une œuvre de solidarité généreuse, les locataires en achetant leur logement vont fournir les moyens financiers aux organismes de logement social de construire de nouveaux logements pour accueillir de nouveaux habitants. Mais l’obligation ambitieuse de vente, même si elle répond à l’aspiration de nos concitoyens et peut bénéficier de conditions financières avantageuses, n’est pas aussi simple à mettre en œuvre. En effet, la politique du logement s’abîme dans des méandres d’une grande complexité, notamment pour le logement social. Les questions se posent quant à la chose vendue, le logement, la décision de gestion du vendeur, l’organisme de logement social, l’acheteur, le locataire en priorité, et enfin les villes qui craignent de perdre la maîtrise d’une partie de leur politique locale du logement.

Le bien vendu doit être construit depuis plus de 10 ans. L’organisme devra choisir entre les logements individuels, très convoités, dont le prix de vente produit une plus-value intéressante mais dont l’offre est difficile à reconstituer. Et ceux au cœur des Immeubles collectifs, dont la délicate question de la gestion de la copropriété vient d’être assouplie par le législateur.

L’organisme HLM peut garder la main sur la copropriété des parties communes pendant 10 ans pour garantir un bon entretien.

Quant aux élus locaux, la portée de leur avis, quand il est sollicité, devient limitée. Pour autant la collectivité participe au logement social par des financements directs ou par la garantie apportée aux emprunts. Certaines d’entre elles, y compris en zone rurale, sont soumises à l’obligation d’une mixité sociale, la loi SRU. Elles s’inquiètent, et expriment leur doute quant à la capacité en moins de 10 ans -durée de la suspension de leur obligation de mixité sociale après la vente- de reconstruire un nombre de logements sociaux équivalent à ceux vendus.

Puis, vient enfin celui qui est au centre du dispositif : l’acheteur qui devient propriétaire. Le prix fixé librement par le vendeur est proposé en priorité au locataire obligatoirement occupant depuis plus de deux ans. Sa famille peut épauler le projet. Le cadre posé, assoupli, laisse, néanmoins quelques achoppements. Les locataires, habitants les logements HLM, disposent de ressources faibles, frein au projet de devenir accédants ? Les prêteurs sont frileux pour les accompagner et les aléas de la vie les contraignent à la prudence. De plus, les plus solvables d’entre eux choisissent souvent un « ailleurs » pour vivre. Enfin, la même loi de finances de 2018 supprime progressivement les aides qui accompagnaient la transition de statut pour les acquéreurs les plus modestes. Comment alors se « dépêtrer » des contradictions multiples qui altèrent l’efficacité du message ?

L’accession à la propriété tient à cœur les Français. Nous devons nous associer à cette aspiration sans manier la rhétorique mais en recherchant l’efficacité pour tous

Le Gouvernement se tourne d’une part vers les élus locaux mais leur dénie d’arbitrer leur politique du logement, essentielle dans les villes et communes, d’autre part vers les organismes HLM les obligeant à vendre tout en les incitant à produire mais en réduisant de manière drastique leur capacité financière. Et enfin vers les locataires, sachant que leurs ressources ne sont pas en majorité compatibles avec celles nécessaires pour accéder à la propriété. Ce propos n’évoque pas la vente en bloc aux nouveaux organismes nationaux de vente, ONV, chargés du partage financier du patrimoine que décide de vendre l’organisme. Ce dernier dispose, dès la vente en bloc, des fonds pour poursuivre ses investissements, laissant à l’ONV, la réalisation des ventes aux accédants.

Le dispositif original en France, existant déjà à l’étranger, sollicite des dispositions singulières modifiant l’écosystème du logement social aux réglementations nombreuses et interactives. Et donc suscite par sa nouveauté des interrogations, tant sur sa mise en œuvre que sur une mutation possible du logement social.

Pourtant, le logement social a accompagné depuis presque un siècle toutes les mutations sociétales, de l’économie jusqu’au tropisme urbain. Et l’accession à la propriété tient à cœur les Français. Nous devons nous associer à cette aspiration sans manier la rhétorique mais en recherchant l’efficacité pour tous.

 

Sans laisser dans l’ombre les égitimes interrogations que suscitent les contradictions qui naissent d’un dispositif qui se définit comme simple mais qui s’inscrit dans un contexte règlementaire et sociétal qui ne l’est pas. Aussi, notre jubilation de la conversation peut nous amener à débattre encore du pour ou contre la vente. Mais le pragmatisme nous conduit à ouvrir la porte de l’accession à la propriété à condition que ce soit de manière raisonnable.

 

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