« Le temps de l’aménagement, à contre-cycle de celui de l’immobilier »

News Tank Cities, le 11/05/2023

 

« L’activité de l’aménagement est effectivement en mouvement en ce moment. Cela est dû au fait que nous sommes à mi-mandat ; les collectivités sont dans une période propice à développer leurs projets et leurs territoires. C’est le bon moment pour lancer des opérations. (…) Cela va quelque part à contre-cycle de l’immobilier au sens large, qui vit un moment difficile avec la crise que nous connaissons actuellement L’aménagement étant sur un cycle plus long, l’impact n’est pas immédiatement sensible. Toutefois, les aménageurs sont quand même impactés, notamment pour ce qui est de la vente de nos lots à bâtir aux promoteurs immobiliers, mais aussi au regard de l’impact de la montée des taux d’intérêts sur les frais financiers », déclare Nicolas Gravit, directeur d’Eiffage Aménagement, à News Tank le 11/05/2023.

« Cette période est aussi impactée par l’évolution des réglementations environnementales et thermiques et par les questions d’acceptabilité des projets par les habitants et les associations qui les représentent. Cela crée également une certaine appréhension qui conduit les élus à être de plus en plus prudents. Pourtant, il est essentiel de continuer à lancer des projets. Une petite bombe à retardement se prépare au regard des besoins en logements, neufs ou réhabilités, et en activités économiques. »

Il appelle les élus à « oser l’aménagement. (…) C’est le meilleur moyen de contrôler l’évolution de la ville, et que cela soit fait dans le respect des objectifs des politiques publiques et de l’intérêt général. L’aménagement permet d’avoir une maîtrise globale du sujet, de prévoir une programmation équilibrée, d’inciter les opérateurs à réaliser des objets plutôt vertueux dans le cadre des objectifs écologiques et de développement durable, d’avoir des villes équilibrées, de participer au financement des équipements publics… Et surtout, malgré les idées reçues, l’aménagement n’est pas forcément l’affaire d’un périmètre gigantesque. Il peut aussi permettre de trouver des solutions sur des périmètres plus restreints et en centre-ville dense. »

Nicolas Gravit répond aux questions de News Tank.

 

 

« L’acceptabilité de la densification en zone urbaine de plus en plus compliquée »

 

Alors que l’activité immobilière est en difficulté, l’aménagement semble connaître une période plutôt favorable. Est-ce le cas et comment l’expliquez-vous ?

L’activité de l’aménagement est effectivement en mouvement en ce moment. Cela est dû au fait que nous sommes à mi-mandat ; les collectivités sont dans une période propice à développer leurs projets et leurs territoires. C’est le bon moment pour lancer des opérations. Ce mouvement se constate aussi bien sur des sujets d’initiative publique (notamment des concessions d’aménagement) que des sujets d’initiative privée, via des opportunités foncières acceptées -ou acceptables- par les collectivités.
Cela va quelque part à contre-cycle de l’immobilier au sens large, qui vit un moment difficile avec la crise que nous connaissons actuellement. L’aménagement étant sur un cycle plus long, l’impact n’est pas immédiatement sensible. Toutefois, les aménageurs sont quand même impactés, notamment pour ce qui est de la vente de nos lots à bâtir aux promoteurs immobiliers, mais aussi au regard de l’impact de la montée des taux d’intérêts sur les frais financiers.

Concernant le développement futur, chez Eiffage Aménagement nous avons toujours des projets. La période suivant la pandémie liée à la Covid ainsi que les élections municipales de 2020 s’est caractérisée par une certaine lenteur. Concrètement, le démarrage des opérations a parfois été plus long que prévu pour les collectivités, elles-mêmes confrontées à des problématiques budgétaires importantes. Il y a eu beaucoup de questionnements parmi les élus sur leur capacité de relance de la production immobilière, en matière de logements comme d’équipements publics. Certaines sont restées en retrait, n’osant pas se lancer au regard du contexte.

Par ailleurs, cette période est aussi impactée par l’évolution des réglementations environnementales et thermiques et par les questions d’acceptabilité des projets par les habitants et les associations qui les représentent. Cela crée également une certaine appréhension qui conduit les élus à être de plus en plus prudents.
 

Cette prudence des collectivités se traduit-elle par moins de projet, ou par des projets plus ambitieux en termes de qualité ou d’environnement ?

Il y a les deux cas de figure. Certaines collectivités se disent qu’elles n’ont aucun intérêt à construire du logement. D’autres prennent le temps de la réflexion, pour bien concerter, sonder l’acceptabilité des opérations d’aménagement. Ce phénomène retarde mécaniquement les projets car les élus attendent le “bon moment” pour démarrer, qui se trouve parfois être post-2026 (prochaines municipales).

Mais heureusement, certains maires n’ont pas hésité à se lancer dès le début de leur mandat actuel, avec une prise en compte des enjeux environnementaux plus marqués. C’est essentiel car une petite bombe à retardement se prépare au regard des besoins en logements, neufs ou réhabilités, et en activités économiques, même si le marché du bureau est plutôt atone en ce moment.
 

Quelle part prennent le logement et le tertiaire dans vos opérations ?

La feuille de route d’Eiffage Aménagement est de travailler plutôt sur des opérations à dominante logement, même si nous souhaitons qu’il y ait autant que possible de la mixité programmatique. Nous avons toutefois deux projets de développement économique en ce moment : l’un à Rennes et l’autre à Saint-Apollinaire, dans la périphérie de Dijon. Un troisième sujet dans cette tonalité-là est en cours de lancement.

Parmi les travaux en cours (Smartseille 2, Cathédrales du Rail de Saint Denis, LaVallée à Chatenay-Malabry…), beaucoup d’entre eux portent sur des opérations de renouvellement urbain sur des fonciers déjà bâtis. Travaillez-vous sur des également des opérations en extension urbaine ? Comment cela est-il amené à évoluer au regard de l’objectif Zéro artificialisation nette ?

Nous faisons de l’aménagement depuis 40 ans, et nous travaillons essentiellement sur la friche urbaine. Cela a toujours été notre terrain de jeu habituel, notamment autour de Paris, en première couronne. Cela reste aujourd’hui notre cible privilégiée et prioritaire. Mais cela ne nous interdit pas de regarder l’extension urbaine, lorsqu’elle est maîtrisée et contrôlée. D’ailleurs, de manière générale, hors Île-de-France, beaucoup de projets sont encore en extension urbaine, car le travail sur la friche reste plus compliqué.

Effectivement, avec le ZAN, le marché va se restreindre. Mais il y a encore des opportunités., En clair, limiter l’artificialisation est bien la volonté du législateur. Cela n’interdit pas l’extension urbaine mais la limite fortement. Cela signifie surtout qu’il faut désormais être très précautionneux et trouver en amont les moyens d’évitement et de compensation. Et même dans ce cas, notre objectif est de faire en sorte que l’on artificialise le moins possible.
 

Cet objectif ZAN appelle également à aller vers plus de densité ou de compacité. Comment cela se traduit-il dans vos opérations ?

Nous allons toujours dans le sens de ce que veut la collectivité en termes de densité. Certains maires ne veulent pas que l’on densifie trop, que l’on monte trop haut, tout en prévoyant des coefficients d’emprise au sol ou d’espaces verts. D’autres collectivités nous le permettent, parce qu’il s’agit d’un foncier à proximité d’un site de transports en commun par exemple. C’est au cas par cas et c’est vraiment en fonction de l’acceptabilité de cette densité par les habitants.

Mais aujourd’hui, l’acceptabilité de la densification en zone urbaine devient compliquée. Même si l’on trouve des concepts ou des modèles constructifs permettant de faire de la compacité, un des points forts du groupe Eiffage, cela reste peu accepté. C’est extrêmement subtil. Nous devons par ailleurs être plus performants sur la façon dont on intègre toutes les thématiques liées à la mobilité (parkings, stationnements…), un des enjeux majeurs pour les métropoles françaises.
 

Vous êtes membre du comité de pilotage sur la décarbonation de l’aménagement, qui a remis son rapport au ministre récemment. Quelles sont les conclusions ?

Tous les groupes du travail ont réussi à sortir des propositions dans des délais assez rapides, donc c’est très positif. Jusqu’à présent, l’aménagement n’était pas considéré comme une filière. La mise en place des groupes de travail nous a permis de décortiquer complètement notre métier, sous ses différentes thématiques : mobilité, énergie, usages, planification… Donc le pari est tenu.

Les propositions portent sur la planification, sur les pratiques au quotidien, sur les aspects financiers, fiscaux, la mobilité… Nous nous sommes concentrés sur l’aménagement opérationnel, à l’échelle des bassins de vie. Nous verrons par la suite ce que le ministre décidera de retenir, ou pas, et la déclinaison dans des projets législatifs ou normatifs.
 

Quel est votre message pour les collectivités qui n’osent pas se lancer dans des opérations ?

Osez l’aménagement ! C’est le meilleur moyen de contrôler l’évolution de la ville, et que ce soit fait selon les objectifs des politiques publiques mises en place et de l’intérêt général. Et nous, aménageurs privés ou publics, sommes là pour accompagner les élus qui en sont les garants.

L’aménagement permet d’avoir une maîtrise globale du sujet, de prévoir une programmation équilibrée, d’inciter les opérateurs à faire des objets plutôt vertueux dans le cadre des objectifs écologiques et de développement durable, d’avoir des villes équilibrées, de participer au financement des équipements publics… Et surtout, malgré les idées reçues, l’aménagement n’est pas forcément l’affaire d’un périmètre gigantesque. Il peut aussi permettre de trouver des solutions sur des périmètres plus restreints et en centre-ville dense.

Faites confiance aux aménageurs et, à charge pour nous, de mieux valoriser ce métier qui n’est pas assez connu.

Laisser un commentaire